mardi 9 mars 2010

Le supplice du métro

Le métro, c’est vraiment pas mon truc. Et pourtant, je le prends tous les jours. Parfois, il m’arrive de me surprendre à rêvasser, observant les gens et leur imaginant une vie. Que fait cette femme ? Je lui invente alors un métier intéressant mais une situation familiale moins stable car son couple ne tient qu’à un fil. Et ce vieil homme debout ? Que fait-il ? Peut-être pense-t-il aux mêmes choses que moi ? Ou peut-être se dit-il : « ah moi aussi j’ai été jeune, et cette jeune fille-là ne l’imagine sûrement pas, elle doit se dire « mais qui c’est ce vieux là ? » ». Et bien si, j’y pense, la preuve ! Bref, je me torture l’esprit mais parfois ça en vaut la peine, ça peut être amusant.

Le reste du temps, dans le métro, je meurs. Mes poils se trouvent hérissés au moindre geste, à la moindre moue, au moindre clignement d’œil d’un passager. Tout m’exaspère. Peut-être est-ce parce que je l’observe minutieusement? Il est vrai que j’essaye, en un coup d’œil, de déceler leurs vices. Je sais bien que c’est impossible mais je ne peux pas m’en empêcher.

Un bruit de chewing-gum mâchouillé, une odeur de Mc Donald qui se substitue progressivement à l’odeur de sueur post journée de travail, une personne qui parle trop fort au téléphone, ou une autre qui se retourne continuellement sur son siège et fait bouger les sièges de derrière font partie des choses qui me rendent dingue. Ca touche ma moelle de plein fouet.

Mais ce n’est pas tout. Dans le métro c’est la jungle. Comme partout d’ailleurs. C’est la loi du plus fort. Faut-il s’acharner pour avoir une place assise ou plutôt accepter la situation telle qu’elle se présente ? Mieux vaut être vu comme un requin ou comme un dauphin ? En même temps, pourquoi se préoccuperait-on du regard de personnes qu’on ne croisera qu’une fois dans notre vie ? Ce qui est encore plus exaspérant, c’est qu’en général, on est exaspéré par des comportements que l’on a tendance à adopter aussi. Par exemple, je vais être exaspérée par une femme qui va se ruer sur un siège à peine libéré par son occupant. Mais en fait, j’aurais fait la même chose à sa place. Puis, pour me déculpabiliser je vais me dire qu’elle a dû avoir une dure journée et qu’elle a besoin de s’asseoir. Je n’ai pas forcément envie de m’asseoir dans le métro. En général je préfère être debout. Mais assise, le temps passe plus vite, donc le supplice aussi.

Je déteste aussi quand le métro est bondé. Vous me direz : « Qui aime le métro bondé ? ». Je déteste le métro bondé car j’ai l’impression que les gens en profitent pour se coller à vous. Vous comprenez sûrement ce que je veux dire par là. « Oh Pardon, j’avais pas vu que ma main était sur votre fesse ». Alors on pense : « Il faut que j’arrête d’exagérer concernant les intentions des gens », mais parfois la nature humaine, et je dirai même la nature masculine, est plus forte que tout. Dans ces cas extrêmes, quand je n’en peux vraiment plus et que j’ai des envies de meurtre très poussées, je change de rame, ou attends le prochain métro.

Ce qui est énervant, c’est que je peux gâcher mon début de journée rien qu’en prenant le métro. Je peux en vouloir à tout le monde, avoir des pensées perturbées concernant les passagers, ou les juger selon leur physique. Il m’arrive même d’avoir des pensées politiquement, moralement et humainement incorrectes. Enfin non, pas humainement incorrectes puisque c’est justement humain d’avoir ce genre de pensées.

Aujourd’hui, je l’avoue, j’ai eu affaire à ce genre de pensées. Tout d’abord, une station sur la ligne 1. Rien à signaler, en une station il ne se passe rien dans ma tête. Puis un changement pour la ligne 5. C’est là que tout à commencé. Le métro était assez vide. Mais il y avait un groupe de jeunes, pas méchants d’ailleurs, qui se collait à moi alors qu’il y avait beaucoup de place dans le wagon. Etant assise, je me prenais le sac d’un des trois garçons dans la figure. Mais comme ils ne m’embêtaient pas, et que je n’aime pas passer pour une de ses femmes aigries que l’on croise souvent dans le métro (d’ailleurs, je me demande comment elles deviennent aigries), je n’ai pas osé leur faire remarquer. Le pire est arrivé quand j’ai changé de ligne pour prendre la 7. J’ouvrirais juste une parenthèse pour dire que dans le métro, on a accès à un échantillon de la population, on croise vraiment tout type de personnes. J’ai donc eu l’occasion de faire une pseudo-analyse sociologique des gens autour de moi. Je regarde autour de moi : un homme avec des béquilles (peut-être un rescapé du ski), un aveugle (il porte des lunettes de soleil et une canne blanche), un malvoyant (il voit mais a aussi une canne blanche. Son téléphone sonne et là il décroche et se met à hurler. Je me dis : « Malvoyant, et en plus sourd ! ». A l’instant même je m’en veux de m’être dit une chose pareille. J’essaye de me mettre à la place de la personne que je viens de juger intérieurement. Je sais que je ne le pense pas. C’est comme quand on se dit que l’on va peut-être mourir d’un instant à l’autre. On ne le veut pas et on ne comprend pas pourquoi on a pensé des choses aussi horribles. Peut-être que c’est simplement humain d’avoir des pensées sur tout et des avis qui ne sont pas nôtres habituellement. Puis arrive dans le métro une jeune fille qui présente un petit retard mental. Ca ne se voit pas tout de suite mais on peut le constater dés qu'elle se met à parler. Mais pourquoi je fais attention à ce genre de choses ? Et en plus je la regarde. Je ne pense pas que ce soit un regard malsain. J’essaye de la saisir dans son être, la cerner, même si je suis consciente que ce n’est pas en un regard que je vais cerner quelqu’un. Elle a une forte haleine, dure à supporter. Et pourtant, je prends sur moi, et c’est encore plus dur de tout intérioriser, mais je sais pertinemment qu’il n’y a rien à faire. A part ne plus prendre le métro, et utiliser mes pieds (solution un peu contraignante).

Mes poils sont hérissés, je suis crispée, j’attends avec impatience la station à laquelle je dois descendre.

Plus qu’une station. Des gens descendent, d’autres montent.

Et, parmi ceux qui montent, il y a celui qui va sauver mon supplice du métro. Il est grand. Il est beau. Il est jeune. A peu près mon âge. Il est en face de moi, au téléphone, mais ne hurle pas comme certains l’auraient fait. Il se fait discret mais pas trop non plus, pas recroquevillé sur lui-même comme un crabe. Je n’ai d’yeux que pour lui. Les autres passagers sont encore là mais je ne vois que lui. Et heureusement. Ca me fait du bien. Je n’hésite pas à le regarder et même à lui lancer des appels avec les yeux. Me réceptionne-t-il ? Il est toujours au téléphone, et j’insiste sans fuir, sûre de moi. Il sent une présence et me regarde. On s’envoie des regards. Je n’attends rien de cette belle et silencieuse conversation. Je me décrispe lentement. Je pourrais passer des heures sur cette ligne de métro s’il restait en face de moi tout du long. Je suis debout et je me sens bien. Je ne veux pas qu’on se parle, je continue de le regarder, en détournant parfois le regard, mais en gardant toujours un œil sur lui. Ca me fait chaud au cœur. Ca l’embaume. Mon sentiment de bien être remplace les frissons touchant ma moelle épinière. Je peux maintenant descendre du métro, comblée. Il descend aussi, et tandis que je m’éloigne plus rapidement que lui, j’entends encore sa voix. Et, quand je sors dans le froid glacial, j’ai l’impression de sentir son souffle qui se fond dans les rayons du soleil sur ma peau et, sereine, je quitte le supplice du métro.

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