Arrivée dans ma chambre, je me déshabille vite et sors dans le couloir froid du bâtiment des filles.
Je m'engouffre dans les douches communes. La vapeur a une odeur de savon, et de Javel (avec laquelle les douches sont nettoyées) et cela me donne un sentiment délicieux Est-ce celui d'être au hammam, ou avec maman à la piscine pontoise, où l'on nageait souvent quand j'habitais encore à paris ? Tout ce que je sais, c'est que cette vapeur chargée de citron et de lavande m'enveloppe de chaleur et de félicité.
Je suspends ma serviette à l'un des crochets du mur froid, trempé d'eau condensée.
Puis m'avance vers l'un des compartiments de douche, en humant l'air avec délices.
Dieu.
Je fais couler l'eau, qui instantanément devient bien chaude, et coule sur mon corps avec volupté.
Mes pieds se réjouissent particulièrement de ce flot de chaleur, et donne cette sensation de brûlure bienfaisante qui caractérise les douches d'hiver. Je me détends. Toutes mes crispations fondent sous cette douche sacrée. C'est tout juste si je ne m'endors pas. J'oublie tout. Il n'y a plus que mes pieds qui chantent Halleluya, mon odorat en pleine pâmoison de vapeurs savonneuses, et je m'écroule presque dans ce nuage qui est en fait le paradis terrestre.
Le problème dans tout ça, c'est qu'il faut rester debout. Mes jambes ne demandent qu'à plier bagage, ou genou, et à me laisser s'affaisser comme il est dû dans tant de sensations enchanteresses.
Mais il y a cette autre fille devant moi, avec le pubis épilé (je ne peux m'empêcher de remarquer ce genre de détails – et puis quoi! quand aurais-je l'occasion de voir comment sont les pubis des autres quand je ne vivrai plus en communauté?). Je ne peux m'abandonner en public à ce doux abaissement qui serait de s'endormir par terre, sur ce carrelage réputé sale, sous le flot lénifiant.
La dure réalité s'impose à moi.
Cette fille au pubis épilé (j'en profite pour préciser qu'il est sur la repousse – jamais je ne me joindrai au clan des épilées de la moquette, bref le sujet est clos) n'est que le buisson qui cache la forêt. En vérité, si je ne peux m'abandonner à mon sommeil chaud et vaporeux devant elle, je ne peux de même m'abandonner à être molle face à la vie et aux évènements.
Je me rends soudain compte que les jours de ma vie passent, et que la mollesse s'y insinue peu à peu dans maints domaines :
- Mollesse du matin, où je mange du porridge mou mollement assise dans mon lit moelleux.
- Mollesse de mes relations envers ceux que j'aime ou n'aime pas, que je laisse couler, comme si là, tout de suite, ce n'était pas la vraie vie et que cette dernière arriverait plus tard. La maladie de ma vie, c'est de croire que la vraie vie est à venir, et qu'en attendant, soyons mous.
- Et puis la résultante de toutes les mollesses : mollesse de mes fesses qui s'empâtent de la douceur des petits gâteaux que je mange pour adoucir mes jours de vie avant la vie.
Toutes ces pensées me viennent alors que mon corps prend, sous la douche chaude, tous les aspects d'une betterave bien cuite. La mollesse, c'est la mort à petit feu. Je ne veux pas mourir, et encore moins avoir les fesses molles. Comme une guêpe prise au piège dans de la confiture, je panique et essaye mentalement de me débattre, mais je suis engluée dans tant de plaisir, je vais passer à la casserole !
Non!
Me sauver de la mollesse, de la mort par obésité du plaisir, de l'anéantissement dans l'orgasme, de la fonte par douche brûlante, bref, du choix de l'ombre au lieu de la proie.
La proie. L'homme qui survit est un prédateur. Je regarde l'Evolution dans les yeux. Elle me sourit d'un air carnassier et ses fins muscles sont bandés, elle va bientôt se jeter sur moi et me dévorer comme un loukoum tout chaud. Je ne veux pas être le loukoum de la chaîne alimentaire.
Rien à foutre de cette douche chaude à la con. Mon corps se révolte contre cette chaleur débilitante. Je sauve ma peau. Ranafou. Je saisis le robinet de l'eau et le tourne à 90 degrés vers la droite. Je ferme les yeux et attends la glaçure, le grand frisson qui fouette et qui réveille. L'eau mortellement moelleuse vire aussi sec, si je puis dire, à un jet d'eau froid, et agréablement honnête et réaliste. Mmmm enfin une douche qui ne ment pas. J'en sors grandie et prête à affronter la vie.
Mathilde.
Incroyable cet article, très fin et bien écrit. J'ai hate de te rencontrer Mathilde, tu es la seule Weill Raynal que je ne connais pas mais j'entends souvent parler de toi. Sarah
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